Le Grand Mercantour
Viens faire le Grand Tour du Mercantour ! Plusieurs fois j’entends ça…
Mais le Mercantour c’est où ? Il y a des loups là-bas non ? C’est de la montagne ? Même de la haute montagne ?
Allez, t’es bien, y a pas de problèmes !
Bon, va pour le Mercantour !!! Je ne regarde même pas par où ça passe ni le programme ! Quand je regarde, une quinzaine de jours avant de partir, je referme vite l’ordinateur et je deviens anxieux. Un des plus hauts cols d’Europe, des montées de vingt kilomètres, pour moi qui n’a jamais fait ça ! Les prévisions météo sont mauvaises, nous ne sommes pas vraiment bien affutés avec un début de saison calamiteux. Et puis j’ai beaucoup roulé pour rattraper le retard, trop même. Qu’importe c’est trop tard pour reculer. Puis les bons copains me disent « tu vas en chier, tu vas voir, c’est dur », tout ce qu’il faut pour rassurer quoi ! Première bonne surprise, nous aurons un temps superbe, de la chaleur, beaucoup de chaleur. Je monte en voiture jusqu’à l’hébergement…je devrais dire je grimpe…Nous aurons le temps de la déguster en vélo cette côte! Un kilomètre cinq entre 10 et 14%, une grosse cerise sur un petit gâteau ! J’ai l’impression d’être un pro ! On me range le vélo le soir et on me le sort le matin. C’est pas beau la vie ?! Nous sommes une petite cinquantaine à prendre la route, accompagné de joyeux drilles venus du sud. Ah oui, nous sommes déjà au sud…On va dire venus d’encore plus au sud alors, Aix, Marseille, Manosque. L’accent chante. Question accent, il y a même Roberto, un Canadien. Un bucheron venu tronçonner la montagne avec un 39/28, il se cassera les dents. Il y a des charentais, des alsaciens, des bourguignons, des gars de la Drôme,un gars de l’US Créteil, un de Sucy-en-Brie, Christine, puis Eric le Celte multisports, notre compagnon de chambrée. Beaucoup de femmes aussi qui ne seront pas en reste dans les cols. J’en oublie, mais nous avons déjà un beau panel…
Samedi soir
Premier « briefing », on annonce la couleur : 140 km et 3560 m de dénivelé, la journée la plus dure sur le papier. Je dis sur le papier, parce que sur les six jours on risque d’en avoir des coups de pompe, même sur des étapes moins difficiles! Dans l’ordre d’apparition sous nos roues : Le col d’Allos, le col des Champs et le col de la Cayolle auquel j’ajouterais, taquin, la fameuse montée à l’hébergement. Des cols dans lesquels le cannibale verra arriver la fin de son règne ; une page d’histoire de la grande boucle !
Dimanche 140 km +3560m Méolans-Revel > Méolans-Revel
Je suis dans mes petites cales…Comment aborder toutes ces montées ? Ben, il y a juste à suivre… Nous commençons par quelques toboggans dans la vallée, à l’ombre des arbres et, rapidement la montée au col d’Allos. La route s’avère agréable, le cadre verdoyant. On laisse les sapins à quelques encablures du sommet. Nous sommes à 2247 m. Descente sur Colmars-les-Alpes par un ruban posé à flanc de montagne. La pierre n’est pas dominante, la végétation rase adoucit le relief, la vue porte loin. Une belle descente nous attend…
Le col des Champs laisse supposer un paysage alpestre verdoyant…ben non. Sylvestre d’abord, le paysage change au fur et à mesure de l’ascension. Coup de cœur du jour, la forêt de Ratery et ce Col des Champs…Nous nous éparpillons sur la route sinueuse serpentant dans la rocaille. L’impression de solitude accentuée par la grisaille des roches, les casses de pierres comme un camp de travail pour bagnards. Position dominante, sans vallées, juste des sommets lointains où le regard se perd. Des plaques de neige sucrent la montagne. La descente confortable nous repose les jambes et la perspective du repas proche nous remplit d’aise. Restaurant à Val Pelens.
Nous descendons un peu, histoire de digérer avant la Cayolle qui s’annonce plutôt indigeste, mais nous ne le savons pas encore. Nous sommes dans les Alpes Maritimes. 20 kilomètres d’ascension un baptême du feu pour moi… et je ne vais pas être déçu… Quelques coups de cul à 10 %. La Cayolle...Roches grises, névés, murs de neige par endroits…L’impression de déranger ; je me sens tout petit, écrasé par les roches mais si près du ciel. Et le silence, la solitude, juste le halètement, la respiration et la cadence des pneus qui chuintent, le cliquetis mécanique du vélo…Je passe des rouleaux dans un bruit métallique qui tranche le silence, puis d’autres encore. J’ai peur de réveiller je ne sais quel monstre. Je m’attends à voir bouger la roche, elle m’observe : « qui es tu ? toi vermisseau qui ose troubler ma quiétude ? »Je suis seul…une marmotte traverse la route déserte…
Enfin je bascule et quitte ces sommets pour plonger dans les miraculeuses Gorges du Bachelard…une route de montagne magnifique avec ses petits parapets. De moins en moins de roches, les sapins se font moins rares, puis nous baignons dans la verdure, engoncés en fond de vallée. Mon coup de cœur du jour ces Gorges du Bachelard !
Dernier soubresaut, la dure pente qui nous mène au gîte…
La camionnette d’assistance a éclaté un pneu et nous ne l’avons même pas remarqué. Tour de passe- passe de l’organisation parfaite.
Lundi 86 km +2150 m Méolans-Revel>Valberg
On prend les mêmes et on recommence, mais à l’envers. Petite journée, oui mais…La Cayolle encore ! Direction Valberg. L’occasion de profiter des Gorges du Bachelard à nouveau, de remarquer quelques cascades, de monter la descente de la veille, histoire de bien s’en imprégner. La Cayolle parait plus facile de ce côté-là…Nous profitons vraiment du paysage. Saint- Martin-d’Entraune…alors que je suis à la recherche du restaurant, un groupe de motards allemands attablés en terrasse d’un café me fait signe. Je leur réponds courtoisement et continue ma route jusqu’à un restaurant (fermé) en contrebas. Finalement un gars me reprend en bas, nous concluons que le restaurant doit être au dessus et nous remontons jusqu’au groupe de motards pour découvrir la salle à manger en fond de cour du café. Repas copieux, la chaleur s’installe…
Nous descendons jusqu’à Guillaumes (798m) pour remonter sur Valberg (1673m). Gros repas plus chaleur, la montée pèse sur les organismes. La fatigue se manifeste, la selle m’échauffe, je dois faire un tour à la pharmacie, heureusement ouverte…
Mardi 90 km +2340 m Valberg>Col du Turini
La journée s’annonce bien nous commençons par un col mais en descente (Saint-Anne), puis nous remontons sur le col de la Couillole (1678m). Les marmottes sont de sortie, surprise de nous voir, mais cabotines, elles se laissent photographier. Nous plongeons sur Saint-Sauveur-sur-Thinée. Le mariage si particulier des Alpes avec la Provence nous offre un paysage sublime. Quand on descend, il faut remonter…direction le col Saint-Martin-La Colmiane.
Nous arrivons en avance le restaurant n’est pas ouvert. En attente, nous essayons de nous protéger du soleil, faisons quelques poses sous la pancarte du col…
Après le repas nous dégringolons sur Saint-Martin-de-Vésubie. Magnifique descente sous la chaleur. A peine le temps de digérer, nous empruntons une route serpentant dans la roche couverte d’une végétation clairsemée. Pour finir, dans les sapins, nous avons 8 % avant de déboucher sur le passage dégagé du mythique Col de Turini (1607 m).
En poussant la porte de l’hôtel nous sommes plongé dans la légende du Monte-Carlo…La salle est un véritable musée, photos, dédicaces, plaques ; nous avons de la lecture…
Difficile d’imaginer cette grande place vide et calme, couverte de spectateurs ne laissant pas un bout de roche apparaitre, tellement ils sont serrés. Des flashes crépitant perçant la nuit d’une lueur blanchâtre créant un jour aveuglant par intermittence.
Farniente en terrasse avant le diner, le temps s’y prête bien. Et toujours cette chaleur…
C’est le coup de cœur de cette journée.
Mercredi 128 km +2300m Col de Turini >Terme Di Vialderi
Nous sommes prévenus par un panneau…Gravillons dans la descente…Nous sommes prudent dans les lacets…Un beau toboggan de 20 km pour rejoindre la magnifique Vallée de la Roya. A Sospel petite remontée pour passer le Col du Pérus et le Col de Brouis ; les routes sont belles et verdoyantes. Je suis surpris de voir un panneau indiquant Menton à 20 km de Sospel. Nous sommes tout près de la mer…Glissade jusqu’à Breil-sur-Roya. La chaleur est bien présente. Un de nous propose une digression. Un village, au-dessus de nous, semble plutôt pittoresque. C’est Saorge, village médiéval qui ne manquera pas de nous offrir une terrasse ombragée pour siroter un peu. Une route monte, passe sous un tunnel et débouche sur le village, accroché à flanc de montagne; très beau certes, mais de terrasse de café, nenni. Nullement déçu, car le site vaut le détour, nous redescendons pour filer à Tende, lieu de restauration.
Dans une surprenante ferme auberge, chez Anne-Marie Riberi, nous pouvons enfin nous désaltérer. Il y a là, outre les animaux, de vieilles machines à vapeur, une calèche qui faisait le trajet Nice-Val Roya- Cunéo, des tombereaux et toutes sortes d’outils d’autrefois. Les jambons pendent des poutres, les cochons, couverts de mouches, s’étiolent. Deux énormes Saint-Bernard nous tiennent compagnie. Le cadre est rustique, nous mangeons parmi les tonneaux et nous mangeons bien…Coup de cœur pour cette étape.
Nous repartons pour monter au Col de Tende où nous avons rendez-vous pour passer le tunnel reliant la France à l’Italie. Regroupement général à l’entrée du tunnel ; nous attendons la Guardia qui nous escortera. Un passage toutes les 20 minutes, donc pas question de lambiner. Nous attendons sous le soleil, il fait 35° et pas d’ombre pour nous abriter. Nous avons le tunnel pour nous seuls. Véhicules pour nous ouvrir la route, camionnettes de notre organisation pour la fermer. Expérience inoubliable que de rouler dans la pénombre, nous ne voyons pas vraiment où nous posons nos roues, la fraicheur du tunnel fait du bien. Un point lumineux au loin, la sortie du tunnel grandit, au bout de 3 km nous débouchons en Italie. Deuxième coup de cœur de la journée.
Il nous reste 45 km à parcourir. A Roccavione nous commençons à gravir l’ultime pente nous menant à Terme di Valdieri.
Le Royal Hôtel vient de rouvrir, nous sommes pratiquement les premiers visiteurs de l’année…
Au pied de l’imposant hôtel coure un tumultueux torrent. Connues depuis 1552, les eaux de Valdieri sont bénéfiques pour la santé. Construits entre1755 et 1770, sur les deux rives du torrent, les bâtiments brûlent en 1794. Le 10 juillet 1857, par la volonté du Roi Vittorio Emanuele II, la première pierre de l’établissement est posée.
Cet Hôtel est magnifique et d’un luxe discret…Nous profitons de la piscine dont l’eau soufrée nous délasse. Sa température ? 34°C !
Malgré l’altitude (1368), la chaleur nous impose de dormir la fenêtre ouverte ; le déferlement du torrent nous berce…Troisième coup de cœur de la journée.
Jeudi 85 km +2200m Terme di Valdieri>Isola Village
En tant que premier clients de l’année la directrice tient absolument à nous prendre en photos devant l’établissement, ça va lui porter chance ! Séance photo très sympathique…
Joli descente de 14 km en hors d’œuvre. La route tape vraiment, impression que mon vélo va exploser…finalement c’est mon bidon qui explose, éjecté par les rebonds de la route. Regroupement au pied de la montée de la Madone del Colletto sur une petite place. On comprend vite que la Madonne ne se laisse pas faire, la première partie cause titille nos jambes…10% pour commencer. Nous traversons la forêt. Une halte devant la chapelle au sommet pour reprendre un peu de force avant la Lombarde.
Puis une nouvelle descente. Magnifique descente en lacet…
Mon vélo vibre de partout, merveilleuse transmission du carbone…nous cherchons, mais n’en trouvons pas la cause. Je ne saurais que plus tard, cela vient de la roue libre. En attendant mon plaisir est un peu gâché dans les descentes…Journée maudite, après le bidon, mon vélo râle et vibre.
Nous sommes dans le Piemont. Nous montons doucement vers la Lombarde. Nous apercevons le sanctuaire de Sant’ Anna di Vinadio, le plus élevé d’Europe.
Près de Vinadio nous croisons, sur un parking, l’équipe Sky au travail…Froome est là ainsi que Kwiatkowski…Pour le reste de l’équipe je ne sais pas ; ils sont en train de satisfaire un besoin naturel.
Le mythique Col de la Lombarde…21 km d’ascension à partir de Pratolungo. Magnifique col alpestre, paysage de douceur et de tranquillité, quelques lacs, des pâturages, des plaques de neige, des passages à plus de 9 %, mais aucun ennuis tellement on est bien dans ce paysage. Puis nous plongeons, par des routes larges, sur Isola 2000, station déserte en cette période, village fantôme.
Arrivée dans le très beau village d’Isola ! Deux rivières dévalent, se rejoignent. La route pour y arriver suit les plis d’une roche rosée le long de la Guerche, le canal de l’Abime témoin de l’acharnement du travail de l’homme complète cet impressionnant paysage. Peu d’habitants, peu de commerces, l’église peinte impose sa présence et force le regard. Une petite salle aménagée d’un écran absorbe une grande partie de notre effectif ; un match de coupe du monde de football opposant la France à je ne sais quelle équipe est retransmis en direct…
L’équipe Fortunéo traverse Isola…Barguil doit en être…
Mon coup de cœur du jour va à cette descente et au village d’Isola !
Vendredi 90 km +2300m Isola village>Méolans-Revel
Retour au bercail ! Nous allons remonter la Tinée jusqu’à la Bonette. Quand je dis remonter, cela signifie que nous avons, hors une petite descente de 4 km , une cinquantaine de kilomètres à monter. La chaleur est là de bonne heure. Déjà à Saint-Dalmas-le-Selvage nous sommes bien content de trouver de l’eau à la fontaine. Nos organisateurs sont toujours présents et nous aurons fait le plein bien souvent aux fontaines bienfaitrices qu’ils ne manquent jamais de nous signaler.
D’abord dans la forêt, le parcours est fort agréable. Au fur et à mesure que nous élevons les arbres disparaissent. Nous sommes doublés par des motos vrombissantes, nous croisons une procession de Porsche anciennes, des motos anciennes de toutes sortes, il y a même une cyclosportive. Je trouve cette route fort bruyante et encombrée finalement. Pas étonnant, tous se donnent rendez-vous à la cime de la Bonette, la route goudronnée la plus haute d’Europe !
Et ça monte, ça monte…Nous passons à travers une caserne en ruine. Je fais une halte au camion…
La pente, plutôt douce, oscille entre 6 et 7% ; un peu plus en milieu de montée (9%)…mais c’est long. Surtout que le ruban d’asphalte semble juste posé sur la montagne, on le voit de loin qui se déroule. Vers la fin la cime semble proche, mais, si on l’a sous les yeux, elle reste loin des pédales. La neige strie le massif. On passe devant les névés, des murs de neige par endroit; sensation que quelqu’un a laissé la porte du frigo ouverte. Enfin nous atteignons le col à 2715 m. Curieuse impression, les monts sont noirs, comme des terrils. Au dessus de nous, rien que le ciel. On ne peut plus aller plus haut, sauf pour quelques-uns qui font du rab et montent à la cime. Il faut se dresser sur les pédales pour franchir le dernier tronçon à fort pourcentage. Là-haut, il n’y a rien…un parking de motos et une stèle confirmant que c’est la plus haute route d’Europe. Coup de cœur la Bonette ? oui mais sans la circulation; cette dernière peut rendre la montée un peu stressante.
A partir de maintenant nous allons continuellement descendre sur l’Ubaye. Descente ventée…Halte à mi-pente pour se restaurer à la halte 2000 (2000 mètres d’altitude). Il fait chaud, je mange trop.
Très belle descente jusqu’à Jausiers où je m’arrête pour attendre mes camarades. La chaleur m’accable, écrasante, il fait 38°C. Je suis mal, même très mal…Un gros coup de pompe dû à la chaleur. Je prends les roues tant bien que mal, nous avons un vent défavorable. Je me refais une santé dans les dix derniers kilomètres. Heureusement car il nous reste la côte vacharde pour remonter au gîte.
Fin du séjour !
Le Mercantour ? A faire absolument et plutôt deux fois qu’une pour en profiter pleinement la deuxième fois. Belle organisation d’une équipe sympathique. On y apprend la modestie et l’humilité, faire les gros bras se paie cash. Quand on passe le Mercantour, on passe partout.
Le Narrateur : Didier A.