Charly Gaul
Le récital de
la Chartreuse - Dans le Tour 1958, le Luxembourgeois entre dans la légende
au cours de l’étape Briançon - Aix-les-Bains. Ce mercredi 16 Juillet 1958, matin de l’étape Briançon -
Aix-les- Bains, Raphaël Geminiani doit enfin gagner le Tour de France. Il est
en jaune, mais il lui faut encore maîtriser le Belge Adriaennsens. Et il se méfie
toujours d’Anquetil. Charly Gaul n’est plus qu’un comparse, rejeté à seize
minutes, dont les trois quarts perdus dans l’étape de Gap, liquidé par les gars
de l’équipe de France. « Je ne voyais pas comment Charly pouvait me
reprendre un quart d’heure », considère toujours Geminiani, qui conserve le
souvenir précis de ce moment où le Luxembourgeois s’engagea dans son échappée
de haute voltige, à 110 kilomètres d’Aix-les-Bains. « Je revois très bien
comment il est parti avec son petit braquet, mais je n’avais aucune raison de
m’alarmer et je me suis dit : Charly, il part pour faire son numéro ! » «
Gem » ne croyait pas si bien dire. Gaul dans la Chartreuse, c’est l’un des
grands récitals de l’histoire du Tour. Ce jour-là, le Luxembourgeois roule dans
l’allégresse, imperturbable sous l’averse froide, dans ce décor verdoyant où la
forêt dégouline. Lorsque la course aborde le massif de la Chartreuse, les
conditions deviennent épouvantables. Mais Gaul semble habité. On dit qu’il montre
à Louison Bobet l’endroit précis où il va démarrer dans le col du Luitel,
deuxième des cinq ascensions du jour. Une fois de plus, Bahamontes est avec
lui. Mais il pleut à verse. Alors personne ne peut rien contre Gaul…
Le passager de la pluie Une minute d’avance sur Bahamontes au
sommet du Luitel, où Ferlenghi et Annaert sont encore échappés ; Gaul seul en
tête au col de Porte ; cinq minutes d’avance sur Adriaenssens au Cucheron ;
6’30’’ au Granier ; 7’50’’ à l’arrivée à Aixles- Bains, où la peinture blanche
de la ligne d’arrivée se dilue sous la flotte. Mais la foule est restée stoïque
pour accueillir le passager de la pluie, qui desserre les cale-pieds dans un
grand sourire. Les dégâts sont considérables. Geminiani est à quatorze minutes
; Bobet à dix-neuf et Anquetil à vingt-trois. « J’étais à moto et j’ai dû
m’arrêter au Granier pour boire un grog. Le soir, j’ai mis une heure avant de
commencer à pouvoir écrire mon papier », se souvient Michel Clare, qui
décrivait ainsi l’atmosphère dans sa chronique de L’Équipe. « Je ne
me rappelle qu’un rideau de pluie. Un déluge sans arche. Je pensais à tous, les
illustres et les inconnus, matelots emportés par les flots et qui tentaient
désespérément d’éviter le naufrage. Un homme échappait de la tempête, Charly
Gaul, (…) qui ne se plaît qu’à l’envers sombre de la vie, aux trombes
d’eau déversées du ciel, au froid qui paralyse les muscles des autres. Il était
aussi à l’aise qu’un poisson dans l’eau. Enfin, son temps était venu. »